MEDIAPART. Depuis les accords d’Oslo, Israël a accordé l’asile à des centaines de Palestiniens reconnus pour avoir apporté une « contribution significative » à la sécurité du pays. Mais plusieurs centaines d’autres peinent à obtenir ce statut et restent livrés à eux-mêmes.
Jérusalem, de notre correspondante.- Les experts s’accordent à dire qu’ils ont joué un rôle déterminant dans la construction de l’État d’Israël et qu’ils constituent toujours une clef majeure dans la préservation de sa sécurité. De nombreux Palestiniens ont collaboré par le passé ou collaborent encore avec les services secrets de l’État hébreu pour prévenir ou déjouer les attaques menées contre les Israéliens.
« Depuis le début du sionisme, il y a eu plusieurs formes de collaboration : vendre des terres aux Juifs, les soutenir politiquement ou les assister dans leur conflit armé. Cela consiste à recueillir et donner des informations. Mais cela peut aussi aller jusqu’à servir dans des unités ou participer à des missions spéciales, par exemple en menant des assassinats », détaille Hillel Cohen, historien israélien et auteur de Palestiniens face à la conquête sioniste (1917-1948) (L’Harmattan).
Pour ces Palestiniens, les motivations sont très diverses. La plupart subissent des pressions. Ils sont arrêtés et obligés de coopérer s’ils souhaitent sortir de prison. Ils peuvent également être attirés par des contreparties : droit de visite à leur famille en Cisjordanie ou à Gaza, permis de travail ou encore traitements médicaux en Israël. D’autres sont animés par une volonté de revanche par rapport au Fatah ou au Hamas qui les a maltraités ou humiliés. Certains, beaucoup plus rares, affirment même s’être pris d’empathie pour les Israéliens.
« La définition du collaborateur dépend moins de ce qu’il fait concrètement que de la façon dont il est perçu par la société, sa communauté ou les différents groupes politiques », ajoute Hillel Cohen. Côté palestinien, la perception des collaborateurs a considérablement évolué au fil du temps. Après la guerre des Six Jours de 1967, l’administration israélienne assoit son contrôle sur la Cisjordanie et Gaza. La collaboration apparaît alors pour certains Palestiniens comme un bon moyen d’obtenir de l’influence. « Dans un village par exemple, si vous étiez en lien avec les services secrets israéliens, vous pouviez obtenir des faveurs et apparaître puissant aux yeux de votre entourage », explique l’historien.
Mais avec la première Intifada, la situation change subitement. La chasse est ouverte contre ces « nantis » qui sont désormais perçus comme des traîtres à la cause nationale. Le bilan est sanglant. Dans un rapport publié en 1994, l’ONG israélienne B’Tselem estime à plus de 900 le nombre de Palestiniens tués entre 1987 et 1993 pour avoir collaboré avec Israël ou du moins en avoir été soupçonnés.
Si aujourd’hui, officiellement, l’Autorité palestinienne considère légitime la coopération sécuritaire avec Israël, aux yeux du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, ou de certains des membres les plus radicaux du Fatah (le parti de Mahmoud Abbas), la collaboration avec l’ennemi juif reste un crime passible de la peine de mort. En témoigne, le 22 juin dernier, l’exécution publique à Gaza de trois Palestiniens accusés d’avoir assassiné un commandant militaire du Hamas pour le compte d’Israël. Les associations de défense des droits de l’homme dénoncent également les séances de torture et le processus judiciaire expéditif qui accompagnent ces exécutions.
Face à cette menace, la fuite vers Israël devient la seule issue. L’État hébreu organise à partir de 1993 l’exfiltration de plusieurs dizaines de ces « informateurs », un chiffre qui explose lors de la seconde Intifada. Au début des années 2000, l’armée israélienne mène par exemple « une opération pour libérer un groupe de Palestiniens soupçonnés de collaboration et emprisonnés à Bethléem », raconte Haran Reichman, directeur d’une clinique juridique à l’université de Haïfa et fin connaisseur du sujet pour avoir représenté plusieurs collaborateurs devant la justice. En 2005, lors du désengagement de Gaza, Israël évacue également les habitants du village de Dahaniya, situé à l’extrême sud de la bande côtière. Les autorités israéliennes avaient installé dans ce « village-traître » plusieurs centaines de collaborateurs démasqués au cours des années précédentes.
Tenu secret pour protéger l’identité de ses bénéficiaires, ce processus de « réhabilitation » a toutefois été médiatisé avec le dévoilement de cas emblématiques, comme celui de Mossab Assan Youssef, fils de Hassan Youssef, l’un des membres fondateurs du Hamas en Cisjordanie. De 1997 à 2007, celui dont le nom de code est « le prince vert » livre aux services de renseignements israéliens des informations sur les activités de son père. Réfugié en Californie depuis 2007, il publie un livre en 2010, dans lequel il affirme avoir joué un rôle actif dans les arrestations de Ibrahim Hamid, ancien chef des Brigades al-Qassam, et de Marwan Barghouti, condamné à cinq peines de prison à vie pour avoir orchestré plusieurs attentats pendant la seconde Intifada.
On peut également citer le nom d’Abed Rajoub, ex-membre du Fatah et cousin de Jibril Rajoub, haut gradé du Fatah et ancien directeur des services de sécurité palestiniens en Cisjordanie. Lors d’une récente conférence à l’Institut de recherche Truman de l’université hébraïque de Jérusalem, il racontait devant un parterre d’experts ses 34 ans de dévouement auprès des services de sécurité israéliens avant d’être exfiltré lors des accords d’Oslo et d’obtenir la citoyenneté israélienne pour sa famille et lui.
Abed Rajoub et Mossab Assan Youssef, même s’ils vivent désormais aux États-Unis, ont tous deux reçu un traitement de choix de la part de l’État hébreu. Le Shabak (les services secrets israéliens) les a reconnus comme des collaborateurs de « haut niveau », ayant apporté une « contribution significative » à la sécurité du pays. Si ce concept de « contribution significative » reste flou, il donne accès à de nombreux avantages : une nouvelle identité, « de l’argent, un salaire, une maison, et jusqu’à la citoyenneté israélienne », résume Haran Reichman. Dès que le collaborateur est reconnu par les autorités, il reçoit « un package très généreux. Cela peut s’élever jusqu’à 1 million de dollars », précise Menachem Hofnung, directeur du département de science politique de l’université hébraïque de Jérusalem.
Selon l’universitaire, « 400 à 600 » Palestiniens, dont une écrasante majorité d’hommes, parfois très jeunes, auraient ainsi obtenu un statut officiel en Israël depuis 1994. Une estimation à laquelle il faudrait encore ajouter des « milliers » de personnes, « 25 à 30 » par collaborateur, en comptant leur entourage, « femmes, enfants, épouses des enfants et amis » qui ont également bénéficié de cette « porte d’entrée vers Israël ». Revers de la médaille, pour ces exfiltrés, Israël n’a pas toujours été le havre de paix espéré. Sous Yasser Arafat, certains d’entre eux sont kidnappés sur le sol israélien ou assassinés. « Il y a eu un cas dans le nord en 2001. La famille du collaborateur n’a plus jamais eu de nouvelles de lui. On ne sait toujours pas ce qui lui est arrivé », raconte Menachem Hofnung, précisant que ce type d’opérations a cessé, à sa connaissance, depuis l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas.
Une autre réalité est moins connue : celle des centaines, voire des milliers d’autres Palestiniens, affirmant avoir collaboré, eux aussi, avec l’État hébreu, et qui n’ont pourtant obtenu aucune reconnaissance de la part des autorités. En hébreu, les Israéliens les appellent les « méouyamim », les « personnes menacées »…
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